Depuis l’article du journaliste Martin Bernard intitulé « l’imposture Grégoire Perra » paru le 12 juillet 2019, une controverse assez animée s’est ouverte sur la question de la crédibilité de Grégoire Perra notamment quant à la validité de ses témoignages et la pertinence de ses critiques à l’égard de la pédagogie Steiner/Waldorf et plus largement du courant de pensée anthroposophique. Grégoire Perra dit-il la vérité comme il le clame partout ou tronque-t-il ses témoignages en vue de nuire. Nous proposons ici une analyse relative à l’affaire Mathilde Quettineau.
Au début de l’année 2007 une élève de 17 ans Mathilde Quettineau se plaint d’attouchements à caractère sexuel lors d’une sortie scolaire de la part de son professeur de philosophie, Grégoire Perra. Ce dernier lui envoie rapidement une lettre d’excuses et d’aveux accablante.
Je cite les éléments importants de la première partie de la lettre(1): « Il faut que vous sachiez que je reconnais maintenant pleinement le caractère ambigu et d’agression de mes gestes… ces actes ont en effet pu être accomplis par déni de la réalité… des règles sociales et des dispositions légales concernant l’enseignement : je ne souhaite plus fuir la réalité. Je regrette profondément si j’ai pu porter ainsi atteint à votre image de l’adulte… en contradiction complète avec les devoirs de ma profession d’enseignant et de pédagogue…» Il ajoute encore plus bas : « je souhaite réparer le tort que je vous ai fait ».
Quelques années plus tard dans un texte intitulé « Ma vie chez les anthroposophes (2) » Grégoire Perra contestera la validité de cette lettre en produisant un texte intitulé « toute la vérité », relatant cette affaire. Grégoire Perra écrit dans ce texte que c’est au contraire la jeune fille qui l’a provoqué puis, « frustrée » par le fait qu’il ne répondait pas à ses avances, « elle s’imagina que c’était moi qui l’avait caressée contre son gré ».
Sous la demande de sa compagne d’alors, Perra est alors amené à rencontrer la mère de Mathilde : « elle (la mère de Mathilde Quettineau) exigea que j’écrive une lettre de dénonciation dont elle me dicta presque mot pour mot le contenu.»
Comment savoir qui dit la vérité ? Est-ce le Grégoire Perra de 2007 qui reconnait les faits et produit une lettre d’excuses ou est-ce le Grégoire Perra de 2012 qui inverse les faits en niant la validité de cette lettre ? Après tout, pourquoi ne pas envisager que la mère, croyant les affabulations de sa fille, comme le prétend G Perra, ait pu faire pression sur un homme affaibli pour lui dicter une lettre d’excuses ?
Si la lettre s’arrêtait là cette version serait, à la limite, plausible. Seulement la lettre de Perra comporte une deuxième partie qui est d’une tout autre teneur: « je ne souhaite en aucun cas me chercher des excuses mais peut-être qu’une explication vous serait utile… je vais donc le dire simplement : je suis malade. Cela ne date pas d’hier. Je pense avoir une profonde névrose quelque chose comme cela. Des événements moins graves mais similaires qui auraient dû m’alerter avaient commencé de m’en faire prendre conscience. J’avais d’ailleurs commencé à me soigner de manière sérieuse auprès d’une psychanalyste sur Paris après les vacances de février, donc avant d’être confronté à votre témoignage. Nous n’en sommes qu’au début de ce travail, mais je pense avoir commencé à identifier une des causes de mon comportement : il y a maintenant quelques années, de 1998 à 2002, j’ai vécu avec une compagne, (dont Perra cite le prénom) qui avait été victime d’agressions pédophiles répétées durant toute son enfance et son adolescence… voilà que par un phénomène que je ne comprends pas bien encore, la compassion que j’ai eue pour elle et notre vie de couple m’ont, en quelque sorte permis d’être contaminé dans une certaine mesure par les actes qu’elle avait subis…» Grégoire Perra écrit ici clairement qu’il s’explique les gestes qu’il a eus à l’encontre de Mathilde par une profonde névrose à caractère sexuel de tendance pédophile dont il tire l’origine de son expérience avec son ancienne compagne (il emploie le terme « contaminé »).
Au vu de cette deuxième partie de la lettre, l’affirmation selon laquelle ce serait la mère de Mathilde qui lui aurait dicté « presque mot pour mot » une telle confession intime, est-elle toujours crédible ?
Si tel est le cas, il faut alors admettre que la mère de Mathilde a inventé et dicté sur le vif à G Perra le fait « d’être malade » et d’avoir « une profonde névrose ». Bien plus encore, est-il tout simplement pensable qu’elle ait inventé des précisions telles que le fait d’avoir « commencé à me soigner de manière sérieuse auprès d’un psychanalyste sur Paris avant les vacances de février » ?! Comment aurait-elle pu connaître le prénom de son ancienne compagne ainsi que son passé biographique (viols subis durant son enfance) ? Pour couronner le tout le lecteur de G Perra doit admettre que la mère de Mathilde, poussée par une inspiration prodigieuse, a enfin inventé le fait qu’au cours de ses séances psychanalitiques (inventées par la mère de Mathilde), Grégoire Perra aurait réalisé que cette « profonde névrose » à tendance pédophile, lui serait venue de son ancienne fréquentation !!!
De deux choses l’une : soit cet aveu a été dicté par la mère de Mathilde mais alors il faut admettre que G Perra ait pu consentir à écrire sous la dictée, presque mot pour mot cette colossale affabulation, soit cet aveu est authentique !!!
La première hypothèse est déjà tout à fait absurde. Elle devient proprement délirante si l’on analyse ce qu’écrit Perra dans son texte de réfutation : « elle (la mère de Mathilde) exigea que j’écrive une lettre de dénonciation dont elle me dicta presque mot pour mot le contenu. Lorsque je racontais, le soir même, cet entretien à Cécile, celle-ci me demanda d’écrire et de signer cette lettre, disant qu’elle me quitterait si je ne le faisais pas. »
Nous devons désormais nous imaginer que G Perra rentre chez lui et raconte cet entretien à sa compagne. Il lui raconte ce que la mère de Mathilde vient de lui dicter presque « mot pour mot ». Que répond en substance la compagne : je te quitte si tu n’envoies pas cet aveu imaginaire à charge de pédophilie, à la mère de la fille qui t’a accusé pour des actes que tu n’as pas commis !!!
Devant une telle absurdité nous voyons qu’aucun chemin logique ne peut conduire à admettre que cet aveu a été dicté par la mère de Mathilde puis envoyé sous la contrainte de sa compagne.
Mais alors, si ce n’est pas la mère de Mathilde qui a inventé une telle confession, d’où sort-t-elle ???
G Perra aurait-il été subitement pris de folie pour inventer lui-même de façon aussi détaillée un tel témoignage à charge ?
Nous sommes ici devant une réalité incontournable ! Si personne n’a inventé ce récit (et un tel récit n’est pas inventable) il n’y a plus qu’une solution : G Perra évoque ici une réalité biographique d’autant plus authentifiable qu’il livre le prénom et les confidences intimes de son ancienne compagne, qu’il en déduit une explication causale quant à sa « profonde névrose » et va jusqu’à donner le détail du début de ses soins psychologiques. Sauf rupture avec toute rationalité, aucune autre solution n’est admissible quant à la réalité de la pathologie déviante de l’intéressé.
Qu’en est-il de la réalité des actes commis envers la jeune fille ? Sont-ils imaginaires comme Perra le clame partout ? C’est G Perra lui-même qui vient apporter la réponse décisive à cette question : le 13 mai 2009 Grégoire Perra envoie à Mathilde Quettineau via Facebook, un courrier … d’excuses. Soit plus de deux années après l’affaire (3): « Si je t’écris donc aujourd’hui directement c’est parce que je ressens comme spirituellement et moralement très important que nous puissions nous parler. J’aurais aimé, maintenant que je peux le faire en toute liberté, c’est-à-dire sans la pression de ma compagne, qui l’exigeait pour notre relation de couple…pouvoir te présenter mes excuses. »
Il est bien clair que Perra s’excuse pour les faits ayant lieu deux ans auparavant puisqu’il précise dans le message qu’il le fait « sans la pression de ma compagne qui l’exigeait pour notre relation couple »
Est-il censé d’admettre que ce dernier ré-envoie une seconde lettre d’excuse à Mathilde pour les actes dont elle l’a accusé et qu’il n’avait pas commis deux ans auparavant, spontanément et librement ?!!!
Plus donc on regarde les explications de G Perra, plus on s’aperçoit que les absurdités se construisent les unes sur les autres (il y en a encore bien d’autres que je ne mentionnerai pas par souci de concision).
A travers l’analyse de ces éléments, il devient aisé de discerner la part de vrai et la part de faux dans cette affaire : il est en effet fort probable que G Perra ait eu à subir une pression de la mère dans le but d’obtenir un document juridiquement utilisable en cas de problème. Quant à sa compagne, on pourrait tout à fait supposer qu’au sein d’une relation amoureuse, cette dernière, pour pouvoir intérieurement rester avec lui, ait pu exiger de sa part le courage d’un aveu de cette nature débouchant sur l’intention de se soigner. Mais en aucun cas elle aurait pu lui enjoindre d’envoyer une lettre qui soit en substance un double mensonge à sa charge : l’aveu d’une pathologie qu’il n’aurait pas, doublé d’excuses pour un acte imaginaire. C’est absolument impensable !
Le présent mensonge ne peut tenir que pour les lecteurs de G Perra qui se contentent de lire passivement ses récits en toute confiance. Car effectivement, à première vue, sa version semble cohérente. G Perra peint une situation générale complexe qui colle tout à fait à l’image sordide qu’il ne cesse de répandre au sujet de tout ce qui a trait à la pédagogie Steiner.
La mise en lumière de cette affaire ouvre sur des réalités bien différentes et lourdes de conséquences : G Perra lui-même, dans sa lettre d’aveu livre un témoignage, le plus authentique de tous, révélant les dangers potentiels de pédophilie qu’il perçoit en lui-même, ses phantasmes inavoués, et ses pratiques de promiscuité malsaines entre professeur et élève.
Cet ensemble correspond très exactement à ce qu’il reproche, de façon obsessionnelle à la pédagogie Steiner et au milieu anthroposophique ! Un fait qui ne manque pas d’ouvrir sur certaines questions.
G Perra voudrait tant ne jamais avoir écrit cet aveu ! Mais cet aveu existe et Perra ne peut parvenir à en occulter la validité que tant qu’il maintient une sphère de crédibilité totalement étanche auprès de ses lecteurs. Mais dès que ces derniers se livrent à une analyse critique et comparative des différents textes, les incohérences apparaissent. C’est pourquoi l’affaire Mathilde Quettineau constitue le point névralgique de la remise en question de la validité des témoignages de G Perra.
- (1) Lettre publiée intégralement dans l’article de Martin Bernard « L’imposture Grégoire Perra » paru le 12 juillet 2019
- (2) « Ma vie chez les anthroposophes ». Texte publié le 2/10/2012 sur son blog
- (3) Ce fait a déjà été mentionné par Martin Bernard
Le lecteur pourra lire la totalité des explications rocambolesques de G Perra sur cette affaire, directement sur son blog, dans l’article cité en note 2 et poursuivre l’analyse des incohérences en étudiant sa description de Mathilde Quettineau. Nous suggérons également la lecture attentive des attributs psychologiques et moraux qu’il attribue à la compagne qui l’a soutenue durant le procès de 2013, appelée Maria dans son récit (issu du même document « le vrai visage de Maria »).